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Oswald Durand, la soif de vivre

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Oswald Durand, la soif de vivre.
17 septembre 1840 – 22 avril 1906

Oswald Durand,

Qu’est-ce qui le faisait courir ? Sa vie semble marquée du sceau de la quantité : les femmes, les métiers, les activités successives et son activisme.

Une poétesse, Virginie Sampeur, qui fut son épouse. Une quasi analphabète, la belle Victoire, qui aurait été sa maîtresse avant d’amadouer l’humeur « mabiale » d’un chef d’état. D’autres femmes, amours longues, amours brèves. Le piège tendu à la critique prisonnière du biographisme qui a voulu que chaque fragment du discours amoureux qui hante sa poésie fut le rapport d’une anecdote : le souvenir d’un échec ou la célébration d’une victoire. Idalina, Lise, Choucoune… Pourtant, la filiation est claire. Lise, figure hugolienne de la « Chanson des rues et des bois », est un prénom d’époque. Choucoune a été publié dans un journal sous le titre de Ti Pierre. « Plus une chose est poétique, plus elle est vraie » disait un grand poète romantique. Le romantisme « crée du vécu » par la force du langage. Dans le cas Durand, les critiques se sont pris pour des biographes et ont réduit ses poèmes à des confessions.

C’est vrai qu’il a manqué de biographes et qu’on aimerait en savoir plus sur sa vie, ses rapports réels avec les femmes. Y a-t-il eu dans sa vie autant que dans sa poésie des fiançailles rompues, des parties de baise sur la plage, des amours contrariées par la couleur, le statut ? Au-delà du jeu formel de la construction strophique et du thème à la mode, quelle incidence biographique peut être repérée dans la sentence du quadrille de quatrains moroses :amour d’un jour ou d’une année, c’est toujours de l’amour défunt » ? On écrit avec soi mais on (s’) invente en écrivant. Durand a joué à ce jeu-là. Assez bien pour nous confondre et nous intriguer.
Qu’est-ce qui le faisait courir ? Était-il un incompétent qui ratait toutes ses entreprises ? Ferblantier, restaurateur, hôtelier ! Troubadour à ses heures perdues. Mais aussi journaliste, éducateur, conférencier débonnaire allant de ville en ville, Secrétaire du Conseil des ministres ! Qu’est-ce donc que cet homme qui fut tout, qui navigua entre la « drive » et les honneurs !

Sur cela aussi on attend le travail d’un biographe qui nous racontera les raisons de son arrestation, ressortira les anecdotes de son journal humoristique « Les bigailles », ses conférences, son inscription personnelle dans la vie politique et sociale de cette deuxième moitié du XIXe siècle si difficile à analyser.

Mais Durand était un poète. Il nous a laissé ses Rires et Pleurs et quatre poèmes quelque trois ans avant sa mort.
Les autorités littéraires lui ont fait un cadeau empoisonné en le proclamant « barde national ». La poésie d’Oswald Durand est une poésie sous influence. Elle transpire du Hugo à des kilomètres. Mais elle est la première à nationaliser le décor. Si l’on emprunte la forme, au moins que le cadre soit « nativiste ». Le nativisme de Durand dont on se moque aujourd’hui sous prétexte d’universalisme avait, en son temps, quelque chose de révolutionnaire. Pourquoi, pour être un « grand poète », faut-il aller chercher des arbres ailleurs et une mer d’un autre bleu que celle des Caraïbes ? Durand fut l’un des premiers à sortir de cet enfermement. Il n’y a dans sa poésie aucun mythe d’une supériorité de l’ailleurs. Tout est exprimable dans le cadre haïtien, dans le vécu haïtien.

Sur le mode hugolien, il explore la fantaisie et l’expression de la conscience individuelle. Un « je » de mage et des « jeux » de gamin. Il introduit aussi la réalité urbaine dans la poésie haïtienne. Et l’actualité. Le « poète » haïtien n’a pas conscience de sa schizophrénie quand il loue les poèmes de Maïakovski sur le typhus et se moque de « la mort de nos cocotiers ». Maïakovski était plus moderne. Forcément. Cette modernité est venue après. Et puis les thèmes sociaux : le 1er mai ; la tuberculose, la pauvreté. Et ce poème dont on a fait l’hymne présidentiel sans que les présidents l’aient vraiment écouté ! ce « chant national » qui contient la rime politique la plus importante du XIXe siècle. Car nos poètes avaient pris l’habitude de « chanter » la liberté, mais aucun avant lui n’avait osé dire la simple vérité, aucun n’avait fait rimer liberté et égalité : « l’indépendance est éphémère sans le droit à l’égalité ». Politiquement, qui dit mieux ?
Et Choucoune, bien sûr. Le premier poème sorti d’un livre pour vivre par la voix et habiter l’imaginaire collectif. Choucoune danse au carnaval.

La difficulté pour l’Haïti d’aujourd’hui consiste à faire la paix avec les éléments positifs de son passé. Durand, c’est un âge historique (poétique) qu’il faut revisiter. En cette année du centenaire de sa mort, à part quelques profs de littérature, tout le monde semble l’avoir oublié. Quelques manifestations au Cap, sa ville natale. Une manifestation en France. Des institutions privées et des initiatives personnelles. Les Éditions des Presses nationales ont réédité ses Rires et Pleurs, bravo et merci.

Nous, les « écrivains », les « culturels » n’avons rien fait. La honte. Mais l’année n’est pas finie. Nous avons quelques mois pour des mesures de rattrapage. Répandre et renouveler son appel à la jeunesse, à l’anti-conformisme, sa haine des « pieds plats, des cuistres… à l’esprit étroit ».

Ref: LE MATIN lundi 18 septembre 2006
Par Lyonel Trouillot
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Recu de Carl Fombrun du Coin de Carl