A CUR OUVERT
Lettre de la Terre d’Haïti à ses enfants
Altière, debout, je suis la perle des antilles,
Mes chers enfants,
C’est dans la douleur, la honte et le désespoir que je vous écris, pour vous sensibiliser sur mon état de santé, dominée par un mal qui me ronge depuis tant d’années. Ce mal c’est l’uvre de vos grands-parents qui m’ont défigurée et avilie, poursuivie fidèlement et impitoyablement par vous, comme un cancer sadique qui me ronge sans vouloir vraiment m’achever pour savourer ma souffrance.
Je suis née pour de grandes et belles choses ! Déjà, mes lignes géographiques qui se trempent dans l’océan et qui me sépare de mon voisin de l’Est me confirment dans cette destinée. Quand altière, mes enfants me tiennent debout, je suis la main ouverte offrant au monde entier ma perle que vos pères ont baptisé La Gonâve Je suis alors la Perle des Antilles, l’un des coins des plus beaux et des plus hospitaliers de ce globe. Quand, au contraire, mes enfants s’entre-déchirent dans des luttes intestines et mesquines jusqu’à me renverser, je deviens alors, une arme terrible, un revolver avec pour gâchette ma perle : La même Gonâve Je suis la Perle des Antilles.
Renversée, je deviens un revolver
Je suis née pour de grandes et belles choses ! Mes fils et filles légitimes, mes Indiens, m’adoraient. Ils se nourrissaient et jouissaient de mes richesses sans m’affliger. Ils étaient bons et paisibles. Ils chantaient et dansaient dans la simplicité et la bonté, quand arrivèrent les conquistadors qui vont bouleverser ma destinée. Leur barbarie et leur avidité ont exterminé les enfants de mes entrailles pour mieux me violer et me dépouiller. C’est alors que commença mon long et douloureux calvaire.
Ces Européens, dit civilisés et chrétiens, ont déraciné de l’Afrique profonde, des hommes, les plus forts, des femmes, les plus fécondes, pour m’exploiter au maximum et assurer à leurs seigneurs et à leurs progénitures un avenir toujours meilleur, édifié avec le sang et la sueur de la majorité des vos grands-parents qui ont laissé en héritage à leurs descendants ce lourd tribu de complexe d’anciens esclaves, devenu une entrave qui falsifie dans l’esprit de mes rescapés, le vrai sens de la véritable liberté.
Il y a deux mille ans, l’Amour s’est fait chair pour reconquérir à l’humanité ses dimensions originelles. Il y a plus de deux cents que mes enfants adoptifs se sont révoltés et ont brisé leurs chaînes pour gagner leur liberté et leur dignité. Mais je constate, avec tristesse, que ces chaînes n’ont subi qu’un transfert pour se loger confortablement dans leur esprit et dans leur cur.
Mes chers enfants que j’aime tant, vous ne pourrez jamais sortir de vos entraves si vous n’entrez pas dans votre être profond pour analyser mon histoire, marquée par les étapes déterminantes suivantes : L’extermination de mes enfants légitimes, le génocide des mes Indiens. Une évangélisation erronée et partiale qui prônait la supériorité d’une certaine race. La traite négrière et l’esclavage des Africains sur une terre étrangère le plus grand crime contre l’humanité. L’épopée de mille huit quatre, l’unique, à bien des égards, dans l’histoire de l’homme. La conduite individualiste et fratricide des décideurs de cette patrie qui ont démontré dans les complexes dégradants des uns et dans les préjugés arrogants des autres qu’il n’y avait qu’une entente pour s’affranchir du blanc et jamais une union pour se libérer vraiment.
L’extermination des mes enfants légitimes et naturels, mes saints innocents, dont les seuls crimes furent leur impossibilité physique de résister à la férocité et à la cupidité de ces Européens et leur refus à l’assujettissement est encore aujourd’hui une plaie superficiel-lement fermée, mais profondément active qui exige reconnaissance, confession publique et réparation.
La mémoire de ces Indiens est à peine évoquée par l’histoire et n’a jamais été honorée. Cette injustice, vieille d’un demi millénaire, est une de ces causes majeures des infirmités qui me frappent et de l’impossibilité, pour vous, mes chers enfants de vous unir afin de me délivrer de mes béquilles pour me dire avec amour : Haïti, notre mère, lève toi et marche !
Mes Indiens ont été exterminés. Leur chair et leur sang sont retournés dans mes entrailles sous forme de glaise et de limon, que je garde affectueusement. Aujourd’hui, ils se manifestent dans leur matière subtile, dans leur âme, c’est-à-dire : l’esprit recouvert de ses fines enveloppes dans l’au-delà, véritable noyau de la personne humaine. Sous cette forme de vie, mes Indiens sont encore parmi vous attendant réparation et justice, ne pouvant se les faire eux-mêmes. Suivant les lois spirituelles des réciprocités et des affinités, tant que vous ne preniez conscience de cette dimension de la réalité et que vous n’agissiez pas en conséquence pour un rachat collectif, vous continuerez, mes pauvres enfants, à m’utiliser que pour votre survie, en me dépouillant de ce que j’ai de meilleur jusqu’à m’asphyxier dans une matricide progressive. Votre manque de fraternité et votre absence de solidarité me rendent lourde sur vos épaules et vous font peiner et même reculer sur la route du progrès.
Au nom de la Croix, Isabelle la catholique mit tous mes enfants de race rouge en supplice jusqu’à leur extermination. Au nom de la sainte Bible, les déracinés de l’Afrique bénéficièrent d’une évangélisation taillée sur mesure, faisant de la race noire, des descendants de Canaan, fils de Cham, dont le père Noé maudit ce petit-fils et le condamna à être l’esclave de ses frères. L’esclavage ainsi légitimé, un Las Casas, homme d’église et érudit, pouvait alors bien trouver dans l’évangélisation des noirs une forme de générosité, d’apostolat, pour permettre à ces derniers de sauver leur âme, car canoniquement ils en ont une, mais juridiquement ils n’en n’ont pas. C’est ce que dit le Code Noir de Colbert, promulgué par Louis XIV en 1685 le texte juridique le plus monstrueux de l’histoire moderne. Aujourd’hui encore, mes chers enfants, vous êtes fortement imprégnés par cette fausse échelle des valeurs dictée par des envahisseurs, dont le gain et la domination étaient leurs soucis majeurs. Vous vous sentez mal dans votre peau et vous cherchez souvent à les ressembler en voulant faire de votre frère votre propre esclave. Vous ne vous acceptez pas avec votre riche apport en mélamine et vous voulez que les divinités africaines vous soient favorables quand, elles-mêmes, ne se sentent pas en harmonie avec moi, La Terre d’Haïti, pour leur être encore bien étrangère.
L’épopée de mille huit cent quatre (1804) a toute sa valeur si ses fruits servent pour le bien-être de mes enfants, particulièrement des plus défavorisées. Malheureusement, Je pleure sur mon sort quand je constate que mes enfants adoptifs devenus mes légitimes pour m’avoir conquise dans la sueur et dans le sang s’ajustent mieux avec les démons du passé colonial qu’avec les valeurs que leur offre leur statut dhommes libres pour construire l’avenir mon avenir. Mais notre parcours depuis sur le boulevard de la liberté est décevant, et j’ai été presque toujours dirigée par des complexes et digérée par des préjugés. Et pourtant mes chers enfants, vous briseriez les chaînes profondes pour faire fructifier vos potentiels de beauté et de grandeur si vous preniez le temps d’apprécier le métissage des races qui devient presque qu’indispensable pour la survie de l’espèce humaine, la dominance de la race dite noire dans certaines disciplines, telles le sport et certains arts.
Si vous saviez que Miss Beauté de France était noire et Antillaise et que Miss Univers du monde était noire et Africaine, si vous saviez que dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche, c’est une femme noire, Condoleezza Rice qui, jusqu’à l’âge de dix ans, n’avait le droit de s’asseoir dans un bus à n’importe quelle place en Alabama et qui est aujourd’hui la femme la plus puissante des Etats-Unis. Si vous saviez que l’un des plus grands hommes du vingtième siècle, sinon le plus grand pour avoir cultivé les plus belles qualité humaines : L’intégrité, la dignité dans la souffrance, l’altruisme, la simplicité, l’intelligence, la sagesse, la tolérance jusqu’au pardon, est bien Nelson Mandela. Celui qui, aujourd’hui, pense en une quelconque supériorité de race est un sclérosé qui prend son avoir pour son être et qui confond les privations socio-économiques de l’être avec son essence.
Mes chers enfants, il est plus que temps de donner à l’Indien, à l’Africain, à l’Européen leur vraie place dans mon histoire. Dans leur royaume spirituel, ces êtres qui m’ont peuplée à travers les âges, peuvent trouver l’harmonie dans leur différence, si vous, mes enfants, qui vivez dans toutes vos dimensions humaines, prenez la salvatrice résolution d’uvrer pour mon épanouissement et mon développement, en plaçant respectivement sur mon sein, un jour pour l’Indien, un jour pour l’Africain et un jour pour l’Européen, en vous affranchissant de vos complexes, en vous libérant de vos préjugés, en jetant un pont d’amour et de fraternité sur les séquelles douloureuses du passé où le plus démuni communique dans une chaîne de solidarité avec le plus enrichi qui fait la misère de l’autre sa pauvreté, et son mieux être sa vraie richesse. Alors, ce jour là, je tiendrai dans mes bras tous mes enfants et l’accolade se donnera entre le temporel et le spirituel. A l’unisson ils chanteront leur hymne à la joie dans ce refrain de vainqueurs. Nous ne pouvons pas refaire l’histoire, ni la défaire, mais nous pouvons la faire !
Faisons là ensemble afin que les générations de demain puissent être fières de cette Terre, leur Mère, régénérée dans sa richesse et sa beauté pour le bonheur et le bien-être de chacun de ses héritiers.
Votre mère qui vous chérit Haïti
Reçu de Adrien François pikliz.com