Home Miami beach P.Q. Bâtisseurs, artisans, artistes Francis W. Lucas: les débuts – et la fin du Sunny Isles – des Québécois

Francis W. Lucas: les débuts – et la fin du Sunny Isles – des Québécois

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Au cours de cette entrevue exclusive, Francis W. Lucas nous révèle ce qui a contribué au début de la ruée des canadiens-français vers la Floride du sud, de même que ce qui a causé le déclin de cette industrie hôtelière particulière sur les trois kilomètres de la Collins Avenue, au nord de Miami Beach. Voici donc le témoignage d’un bâtisseur, d’un homme qui a consacré sa vie d’adulte à son motel, le Suez et, qui aujourd’hui peut jouir d’une retraite confortable grâce à un dur labeur ainsi qu’à une bonne entente avec les francophones….

Francis W. Lucas, dit « Bob » en référence au prénom de son père, a fait l’acquisition du Suez en 1963. En ce tout début des années soixante, la trentaine de motels établis dans la Collins Avenue de Miami Beach North, vivotaient. Cependant, quelques canadiens-français s’y aventuraient et, tout comme cela s’était produit à Surfside et au plus au sud de Miami Beach, quelques établissements employaient des francophones.
L’un deux, Gaston Moquin, le frère du célèbre lutteur Larry Moquin, eut en 1965 une vision qui allait transformer du tout au tout l’endroit appelé maintenant Sunny Isles.
Laissons la parole à Monsieur Lucas, que nous avons rencontré en mars 2006 grâce à la complicité d’Huguette Martineau. L’octogénaire demeure alerte, sa mémoire vive.
« Un jour, Gaston vient dans mon bureau et me propose que nous allions au Canada français dans le but d’inciter les touristes à venir à Miami Beach. Gaston était un bon entrepreneur qui savait ce qu’il faisait.

Après la messe, le Suez
« Nous voici donc en route vers le Québec par autobus. Nous nous sommes rendus un peu partout, de Montréal à Sept Îles, rencontrer les dirigeants d’agences touristiques. La réponse fut instantanée : le dimanche matin, après la messe, un ou deux autobus remplis à capacité partaient du terminus Dorchester à Montréal. Nous nous occupions de nourrir et de loger les gens le long du trajet, à l’aller comme au retour.
D’autre part, comme la majorité des voyageurs, ceux de la province particulièrement, s’exprimaient difficilement en anglais, nous avons eu recours à du personnel francophone à différents paliers.

Notre initiative fonctionnait tellement bien que, grâce à Huguette (Martineau), nous avons engagé des artistes du Québec pour distraire notre clientèle. Nous avons eu Michel Louvain, La Poune, Paolo Noël et d’autres dont je ne me souviens pas très bien des noms.
Cette deuxième entreprise fut également couronnée de succès. À un tel point que Air Canada nous a approchés, nous proposant des vols directs de Montréal à Miami Beach. À un coût plus avantageux que par autobus.
Puis Travelaide s’en est mêlé avec des slogans comme «Cap au Soleil »

Effet d’entraînement
« Bien entendu, le succès du Suez incitaient d’autres motels à courtiser eux aussi la clientèle des canadiens-français. Je pense au Hawiian Isle, au Beacharbour, au Château. « They all wanted a piece of the action. »
Séduits par le soleil, les spectacles que nous offrions et par toute cette vie grouillante, de plus en plus de personnes décidèrent d’acheter soit une propriété, soit un condominium près de chez nous.
Je pense que notre contribution a favorisé toute une industrie à Miami Beach, ce que nous appelons Sunny Isles depuis près d’une dizaine d’années. »

Une clientèle excellente
À ce stage de la rencontre, nous proposons quelques questions à Monsieur Lucas, un homme allumé et chaleureux.

– Monsieur Lucas, n’eût été de la clientèle francophone du Québec en hiver, est-ce que Sunny Isles serait devenu ce qu’il a été pendant une quarantaine d’années ?
– Nous aurions probablement réussi, mais cela aurait demandé plus de temps. Nous avions des Américains et des Européens qui venaient, quoique, je dois le reconnaître : je dois le succès du Suez à cette clientèle du Canada.

-Était-ce une clientèle agréable et que dire de cette réputation qu’elle avait de ne pas laisser de pourboires ?
– Ah, une clientèle excellente ! En ce qui a trait aux pourboires, probablement qu’elle n’était pas habituée à cela. Si le portier s’en plaignait, nous arrangions cela…

Fallait vendre
– Et puis, petit à petit le déclin est venu. Depuis une dizaine d’années, tous vos motels font place à des tours géantes, abritant des condominiums à un prix non abordable pour le commun des mortels, pourquoi… ?
– Première des choses, la plupart des propriétés se trouvaient en mauvaises conditions et leurs propriétaires n’avaient pas l’argent pour effectuer les réparations. Quelques-uns d’entre nous avions tenu nos établissements en bon ordre, je pense au Suez, bien sûr, au Desert Inn, au Thunderbird : nous avons tenu plus longtemps.

Deuxièmement, chaque nouvel édifice moderne faisait monter le coût des taxes en bordure de la mer. Donc, l’argent manquait là aussi. Alors, quand les nouveaux promoteurs sont arrivés les poches pleines d’argent, il nous aurait été stupide de refuser leurs offres.

Le temps de jouir de la vie
– On nous répète que la fermeture du Suez fut un moment d’une grande tristesse.
– Je me sentais malheureux, en effet, parce que c’était une grande partie de notre vie. J’oeuvrais « sur la plage » depuis les années soixante ; j’étais un jeune homme à l’époque. Tu passes toute ta vie d’adulte en travaillant, c’est dur d’abandonner.
– Le temps était venu de la retraite… ?
– J’ai 88 ans (en 2006), après avoir travaillé pendant toutes ces années, parfois sept jours sur sept, le soir comme de jour, voilà désormais le temps de… « to smell the roses ». Mais, oui, je n’étais pas tout à fait prêt à me retirer. La pilule fut amère pendant plusieurs mois, mais aujourd’hui, je suis heureux de l’avoir fait… »
– Merci Monsieur Lucas, dès votre départ, le Sunny Isles où nous avons pris tant de plaisir à visiter ainsi qu’à y vivre, ce Sunny Isles sans le Suez avait déjà cessé de respirer.


À 89 ans aujourd’hui, Francis W. Lucas demeure un homme vert, alerte.


En compagnie de sa grande complice, Huguette Martineau.


Comme une réunion de famille : « Bob » Lucas, Huguette Martineau et Thérèse Desormeaux, caissière au Suez pendant de nombreuses années.