Arracher l’homme à lui-même, l’empêcher de contempler le vide effarant de son coeur. Voilà une partie du rôle de Dieu.
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SAUVETAGE D’UN DICTATEUR
par BÉCHIR BEN YAHMED
Un des meilleurs connaisseurs de Saddam Hussein a rédigé, il y a bien longtemps, l’épitaphe qu’on devrait à son avis inscrire sur sa tombe, le jour venu : « Ci-gît un homme qui toute sa vie a cru que le pouvoir a pour fondement – et pour bouclier – la violence »
Ceux qui l’ont fait mourir à l’aube du samedi 30 décembre 2006, au bout d’une corde, ont dû conforter Saddam dans son credo. Mais ils n’ont pas exécuté une décision de justice. Ils ont accompli un acte de vengeance, comme leur comportement l’a d’ailleurs montré à qui voulait voir et entendre.
Que des Irakiens chiites se vengent du dictateur qui les a opprimés et réprimés, on le comprend et on peut même l’admettre : les Italiens l’ont fait, en avril 1945, pour Mussolini, et les Roumains, beaucoup plus récemment – en décembre 1989 – pour le couple Ceaucescu.
Dans les deux cas, comme un hommage du vice à la vertu, il y a eu simulacre de procès. Mais on ne s’est nullement caché d’exercer une vengeance.
Que les Iraniens et les Israéliens, sans y regarder de trop près et sans s’étonner de se trouver dans le même camp, se soient réjouis de la mort d’un homme qui était devenu leur ennemi, je peux aussi le comprendre et l’admettre. Mais les États-Unis ? Cette grande démocratie dévoyée par une administration qui, depuis le traumatisme du 11 septembre 2001, a perdu le nord, n’a-t-elle pas, dans cette affaire, franchi un pas d’une extrême gravité ?
Jugeons-en par l’enchaînement des faits qui ont conduit les dirigeants américains à se faire les complices, ou peut-être même les instigateurs, d’un acte que la communauté internationale – mais existe-t-elle vraiment ? Et si elle existe, a-t-elle une voix ? – aurait dû condamner, faute d’avoir pu l’empêcher.
L’enchaînement des faits, le voici :
Pour se venger de ce qu’al-Qaïda leur a infligé le 11 septembre 2001, les États-Unis ont, dès qu’ils l’ont pu, envahi et occupé l’Afghanistan, qui servait alors de refuge à l’organisation terroriste.
Mais il en fallait plus à un George W. Bush assoiffé de vengeance : c’est pour laver plus complètement l’humiliation, pour faire bonne mesure en somme, nous expliquera plus tard Henry Kissinger, que le président des États-Unis lança ses troupes sur l’Irak le 20 mars 2003. Il l’envahit et l’occupa sous le prétexte fallacieux que le pays détenait de redoutables armes de destruction massive et, de surcroît, avait partie liée avec al-Qaïda.
Le régime de Saddam s’est effondré comme un château de cartes le jour même où sa capitale tombait, sans défense, entre les mains des envahisseurs (le 9 avril). Ses dirigeants furent arrêtés l’un après l’autre. Les deux fils de Saddam, Oudaï et Qoussaï, de sinistre mémoire, prirent la fuite ensemble, furent trahis, pour une grosse poignée de dollars, par qui les hébergeait. Ils seront cernés et tués par des soldats américains.
Le chef de tous, Saddam, s’est enfui de son côté, seul. Il sera trahi à son tour pour une plus grosse poignée de dollars et se laissera capturer sans résistance. Le monde entier découvrira un vieillard hirsute, hagard – et docile – et le verra se laisser ausculter et fouiller, puis emmener en captivité Le pistolet chargé qu’il portait sur lui n’aura servi à rien. On le lui prendra pour l’envoyer comme trophée de guerre à George W. Bush, qui, depuis, le garde dans son bureau et, tel un enfant, l’exhibe devant certains de ses visiteurs
Voici donc une grande démocratie – la plus grande de toutes les puissances – qui, contre l’avis de la plupart de ses alliés, à l’encontre de la grande majorité de l’opinion mondiale, sans l’autorisation des Nations unies et, par conséquent, sans droit ni titre – « illégalement », se résoudra à dire, bien plus tard, le secrétaire général des Nations unies -, envahit et occupe un pays, abat son régime, capture et emprisonne ses dirigeants avant de les remplacer par d’autres, de son choix, qu’elle a amenés dans ses bagages ou a trouvés sur place.
Ce faisant, et jusque-là, les États-Unis ne s’étaient rendus coupables que d’un abus de pouvoir caractérisé ; ils ont conçu et réalisé un coup d’État, comme avant eux et ailleurs d’autres puissances impériales : le Royaume-Uni ou la France, du temps où, dans leurs empires coloniaux, ils faisaient et défaisaient les gouvernements ; ou bien l’URSS qui, en 1979, a fait en Afghanistan exactement ce que les États-Unis ont fait en Irak en 2003. Mais, de l’abus de pouvoir, nous allons, par un engrenage maléfique, passer à la forfaiture et à l’indignité.
Jugez-en :
Les Américains vont non pas juger eux-mêmes leurs prisonniers ou les faire juger par un tribunal international offrant des garanties de sérénité et d’impartialité, mais les livrer pieds et poings liés à une justice sur commande, à peine plus acceptable que celle de Saddam du temps où il avait sur ses sujets droit de vie et de mort. Les ayant fait – ou laissé – condamner à mort, les Américains remettront Saddam – le premier – à des bourreaux sectaires et encagoulés, qui choisiront le mauvais jour et la mauvaise heure pour le pendre dans des conditions qui s’apparentent à celles d’un lynchage.
Et, comme pour pousser l’indignité jusqu’à son extrême limite, les Américains reprendront le cadavre encore tiède pour le faire transporter par un de leurs hélicoptères jusqu’au lieu choisi pour sa sépulture : ils auront ainsi vendu à ses bourreaux l’homme qui s’est livré à eux et dont ils avaient la garde. Et assuré le service après-vente.
Connaissez-vous une autre démocratie, soucieuse de son honneur et de sa réputation, qui se soit laissée aller à pareille bassesse ?
Commentant cette démarche, le Financial Times, peu suspect d’antiaméricanisme mais lucide à l’endroit de l’actuel président des États-Unis, écrira : « George W. Bush peut saluer la mort du dictateur comme marquant un nouveau pas de géant de l’Irak dans sa marche vers la démocratie. Ce sera, en réalité et selon toute probabilité, un pas de plus dans la descente de ce pays vers l’enfer du sectarisme. Par cet acte sordide, le gouvernement à dominante chiite de Nouri al-Maliki a renoncé à toute prétention de gouverner au nom de tous les Irakiens Quant à l’armée américaine d’occupation, elle sera vue désormais, par la plupart des Irakiens, comme une hypermilice. »
« La messe est dite », si j’ose m’exprimer ainsi : le Saddam Hussein qu’on a extirpé le 13 décembre 2003 d’un trou à rat était un homme au bout du rouleau, ayant perdu, avec le pouvoir, toute sa superbe. Depuis, ses ennemis américains et irakiens lui ont redonné vie – et un rôle politique. Ils ont fait oublier à des millions de gens – dont je ne suis pas ! – ses crimes et turpitudes, l’ont revêtu, aux yeux de la majorité des Arabo-musulmans en tout cas, de l’habit de martyr.
En lui évitant le sort d’un Noriega, qui croupit depuis dix-huit ans dans une prison américaine et qui y restera jusqu’à sa mort, en montrant au monde entier un Saddam s’avançant vers la potence avec dignité et courage, ils lui ont rendu le plus grand des services.
Ils lui ont, pour ainsi dire, sauvé la mise. Et se sont, eux, déconsidérés.
Comme Saddam, et plus que lui, Noriega, président du Panamá, a d’abord été l’ami des dirigeants américains, voire leur agent. S’étant émancipé, il s’est ensuite retourné contre eux.
Comme Saddam, il a provoqué une invasion américaine de son pays : renversé et capturé, il a été condamné, en 1992, par un tribunal américain, à quarante ans de prison américaine.
Texte recu de Carl Fombrun
du Coin de Carl
Merci Carl!