Lettre ouverte à Pauline Marois’
MON QUÉBEC À MOI *
À la mémoire de Karl Lévêque, Jésuite québécois d’origine haïtienne et pédagogue hors-pair. Pour Gérald Godin, Poète vertical dont le Québec moderne s’enorgueillit et qui a contribué avec passion à l’épanouissement de la langue française d’icitte.
L’élégante et médiatique Pauline Marois, égérie d’une légitime option souverainiste avec laquelle je n’ai pas encore pris rendez-vous, vient de lancer un pavé dans la mare obtuse et cafouilleuse des Libéraux provinciaux : un NOUS identitaire, qui se voudrait, selon certains, électoralement pluriel, mais qui serait encore perçu par l’incertain « pays profond » comme étant à dominante « pure laine » de vieille souche européenne.
Le tocsin de Pauline Marois sonne aussi tel un passeport baptismal, qui nomme et dénomme la ’citoyenneté québécoise » –il faudra néanmoins la fonder aux plans juridique et constitutionnel même lorsqu’on sait qu’elle est déjà inscrite dans tous les paradigmes historiques de la Belle Province.
Et Pauline Marois sait qu’en réalité il importe aussi de ne pas perdre de vue que l’option souverainiste est encore et toujours déboutée par le vote effaré et frileux, pourtant démocratique, des NONistes fédéralistes provinciaux
Avec son audacieuse quête d’une ’citoyenneté québécoise » historiquement légitime, Pauline Marois m’interpelle et me porte à me questionner.
Moi, Québécois pure laine crépue nourri au lait de coco sur les plages conviviales de Jacmel, à une encablure du jardin tropical de Dianira Oriol –la grand-mère de Michaëlle Jean– je m’interroge sur le discours identitaire de Pauline Marois au périmètre ténu de ses objectifs politiques immédiats et de ses finalités historiques.
Et pour que mon questionnement soit porteur de lumière, je dois, au plan éthique et de manière rigoureuse, mettre en déroute une certaine pollution discursive et babillarde et populiste.
Ainsi, le dénommé Mario Dumont, petit, très petit croisé de la droite populiste néo-créditiste québécoise, même drapé de la connivence laxiste d’une faible partie de la presse audiovisuelle, représente très peu dans les débats majeurs de la modernité québécoise.
Qu’il veuille faire peur à une partie de la population, notamment les personnes âgées et économiquement démunies –en déguisant et en actualisant sa pensée néo-duplessiste–, les lois usuelles du Québec lui garantissent la liberté d’expression
Mais nous pouvons d’ores et déjà le remercier de librement choisir de se taire au cours des 365 prochains jours de l’An 2008, car il y a au Québec de nombreux penseurs de haut niveau, toutes origines ethnoculturelles confondues, qui sont porteurs d’idées de progrès et d’ouverture vers soi et vers l’Autre.
En clair : le néo-créditiste Mario Dumont, muni ou pas du kärcher sarkozyen ou du ’détail » lepéniste, représente un reliquat d’idées archaïques et passéistes que même Jean Charest –libéral pur sucre, honnête et franc gestionnaire de la chose publique, mais comateusement borgne au plan des perspectives historiques– n’oserait défendre en 2008.
Diantre, mais nous avons pourtant changé de siècle au Québec ! En clair, les néo-créditistes et autres catholiques fondamentalistes, nostalgiques du Québec agraire de ’la grande noirceur », alors même qu’ils sont ultra-minoritaires dans notre société, n’ont pas su ni pu ni voulu bâtir le Québec moderne et branché hautes technologies qui est le phare avancé et novateur de la modernité canadienne.
Alors, aujourd’hui, se taire peut aussi être un devoir citoyen, pour que le politicien bavard et funambule cesse de polluer l’espace public des débats de ses recettes surgelées, de sa malbouffe ’copier-coller » à tous propos et surtout hors-propos -car la gouvernance du Québec d’aujourd’hui ne peut et ne saurait reposer sur nos plus sombres archaïsmes !
Disons jubilatoirement « merci » à Mario Dumont de choisir librement de se taire afin que le champ des idées au pays de Gilles Vignault et de Robert Charlebois et de Lucien Francoeur et de François Charron et de Borduas, notre Québec à NOUS, demeure un lieu de débats pluriels, respectueux et démocratiques, non infecté par ces peurs néo-créditistes mortifères et pécheresses autrefois entretenues par la schizophrène Église catholique tenant discours créditiste rétrograde sur la sexualité, la famille, l’«infériorité» des femmes, la scholastique engoncée et perverse, l’homosexualité démonisée, le racisme anti-italien et anti-nègre bibliquement «légitimé», etc.
Honneur donc à la démocratie, exit Mario Dumont. Et qu’il aille de bonne foi à Ottawa aider Stephen Harper à ’justifier » sans états d’âme l’injustifiable, à savoir le deuil mortifère des familles québécoises éberluées et piégées en Irak et en Afghanistan pour les beaux yeux de la Bush braconnière et canonnière vêtue de pétrodollars texans
Kidonk, le discours identitaire de Pauline Marois m’interpelle : c’est un discours franc et ouvert, audacieusement articulé/radicalisé par Jean-François Lisée –« erevtov » Jean-François, je salue en toi la moderne pensée critique de mon Québec à moi.
Ce Québec à moi est aussi celui de Simon Harel, Armand Bombardier, Pierre Nepveu, Lamberto Tassinari, Fulvio Caccia, Naïm Kattan, Dany Laferrière, Michel Tremblay, Lysiane Gagnon, Viviane Barbot, Claude Beausoleil, Eddy Toussaint, Émile Ollivier, Emmanuel Dubourg, Samuel Pierre, Claude Jean-François, Pierre Laporte, Pierre Péladeau, Yvette Bony, Marie-Éva de Villers, Rima Elkouri, Christian Latortue, Ariane Krol, Frantz Voltaire, Robert Fournier
C’était aussi celui de Gaston Miron lorsqu’il me lisait, de sa voix tribune et ensoleillée, la poésie tellurique d’Aimée Césaire et de René Depestre.
Le NOUS identitaire pluriel de Pauline Marois, que je ne connais pas personnellement, s’adresse certainement à mes enfants et petits-enfants nés rue du Petit-Champlain, dans le Vieux-Québec, nés également à Chibougamô, Percé, Amos, Pierrefonds, Roxboro, North-Hatley, Laval, Jacmel, Cap-Haitien, Beyrouth, Alger, Tunis, Marrakech, Fès, Algonquie, Inuitie, Kativik, Fort-de-France, Marseille, Milan, New Delhi, Soweto, Cité-Soleil
Ils fréquentent (presque) tous les écoles francophones urbanisées du Québec : merci Camille et René, les ’enfants de la Loi 101 » rêvent aujourd’hui en français en terre américaine anglophone et sont souventes fois polyglottes, même si la Loi 101 et ses organismes de mise en uvre– ont été si cavalièrement émondés et si considérablement anémiés par la grâce borgne et bègue des Libéraux provinciaux ces 15 dernières années !
Et l’histoire retiendra aussi que l’administration libérale-péquiste d’un certain Bouchard-le-Hussard, curieusement et intempestivement abouchée aux mirages indépendantistes de son cru, a froidement et managérialement émasculé des pans entiers de la Loi 101, afaiblissant ainsi les acquis mesurables de l’aménagement linguistique dont le Québec, avec son expertise de très haut niveau, est le modèle attesté, connu, cité et envié depuis 30 ans…
Avec la plus verticale dignité, je dis qu’il faut rendre aujourd’hui publiquement hommage à Pauline Marois d’avoir osé dire haut et clair qu’il y a un NOUS québécois enraciné en terre-Québec depuis 4 siècles, et que ce tronc commun ne doit pas être banalisé ni émasculé sous le voile coranique ou catholique, intégriste, des pseudo accommodements (dé)raisonnables, même lorsque ce tronc commun est l’objet, à coups de millions de dollars, d’une branlante Commission-carnaval aussi fumeuse qu’eunuque
J’ajouterai à cela que la quête identitaire de Pauline Marois devra avoir impérativement le courage de ratisser large, de ne pas laisser sur le carreau (dans le chaos ?) ’nos » Amérindiens si courtoisement parqués dans leurs ’réserves » éthyliques et krakées et mortifères à souhait
Cette quête ne devra pas non plus ’oublier » les robineux et autres SDF courageusement campés sur le Boulevard René-Lévesque, à un frémissement sourcillaire de la manne électrique qu’engrange chaque mois Hydro-Québec dans les caisses bedonnantes de l’État québécois
J’assume à visière levée que le NOUS québécois de Pauline Marois ne peut être qu’un NOUS inclusif, convivial, rassembleur –qui commande des droits et des devoirs citoyens– et qui dit, sereinement, sa jubilation de cohabiter transculturellement avec l’autre ’nous » en NOUS, par exemple ’Ces Québécois venus d’Haïti » (1).
Le Québec n’ayant aucun passé colonial à gérer, je n’hésiterai pas en fin de texte à formuler quelques réserves quant à la démarche de Pauline Marois.
S’il est vrai qu’il arrive parfois que les Libéraux, au provincial comme au fédéral, exercent un subtil chantage sur les ’immigrants-votants » à travers leurs associations et le labyrinthe des subventions communautaires, il est également connu que les souverainistes ont un long chemin de croix à faire pour parvenir avec rigueur à l’équité représentative dans leurs appareils de partis : Gilles Duceppe et Pauline Marois en rêvent sans doute chaque soir que fait le dieu des Poètes
De plus, s’il est vrai que les traditions institutionnelles du Québec en font une terre de paix, un État de droit, il ne faut pas non plus évacuer avec légèreté le fait attesté que les nationalismes, depuis la Seconde guerre mondiale, en Europe comme en Afrique, ont produit des monstres génocidaires : les Oustachis nazis en Croatie, les tribus «nationalistes» ennemies en Serbie comme en Albanie, les Khmers rouges buveurs de sang au Cambodge, les dictateurs-négriers-esclavagistes en Ouganda, au Zimbabwe comme au Rwanda
Et que dire de la dolce vita que mènent à Montréal d’anciens tontons-macoutes autrefois super-ministres de la dictature des Duvalier, confortablement installés dans la pax canadiana à Ville Mont-Royal, à l’Île Perrot, à Dollard-des-Ormeaux, Kirkland, etc. et qui déambulent dans la Cité en toute impunité, les mains et la conscience pourtant couvertes du sang des milliers de victimes des Duvalier père et fils ?
Ces anciens tontons-macoutes aujourd’hui travestis en «hommes d’affaires» Canadian-Haïtiens, hôtes choyés de l’ère bénie des Premiers ministres libéraux Trudeau et Bourassa, sont-ils abonnés «à vie» aux douceurs amnésiques du fisc fédéral et provincial alors qu’une obscure et tenace rumeur publique et des journalistes de terrain, en Haïti, les désignent nommément depuis 20 ans, textes et revues à l’appui, de détournements de fonds de l’État haïtien et d’autres babioles, détenteurs présumés d’un butin de corruption de l’ordre de 40 millions de dollars chacun…?
La mission du TPI (Tribunal pénal international) est-elle incompatible avec le discours identitaire de Pauline Marois ? Mais enfin, les souverainistes comme l’ensemble de la population du Québec n’ont-ils pas une dette fraternelle et solidaire envers Haïti, une dette d’équité et de justice, en réponse à l’ample contribution des Québécois d’origine haïtienne à la modernisation du Québec contemporain (1) ?
Je m’étonne enfin que l’appel et l’appareillage identitaires de Pauline Marois, adossés à une courageuse vision citoyenne du devenir du Québec, s’apparentent vertigineusement à une fronde épicène et semblent aphones dans leur non-discours en direction des jeunes.
En particulier des jeunes de 15 à 25 ans et péniblement en ce qui a trait aux jeunes femmes de 15 à 25 ans Car il est vrai que les souverainistes ne savent pas encore parler aux jeunes, aux jeunes de l’urbanité québécoise, et encore moins aux jeunes femmes des minorités ethnoculturelles
La langue de bois qu’il leur arrive parfois de parler est une langue paternelle (paternaliste ?) qui traduit la langue de la Loi édictée pour ’surveiller et punir » (Foucault); elle ne sait pas être une langue maternelle, voire une langue de la (pro)créativité maternelle.
Sous cet angle particulier, le discours identitaire souverainiste de Pauline Marois demeure un discours d’approximation de l’identité rassembleuse, un discours mâle paradoxalement… « rétentif » toutes les fois qu’il ne parle pas la langue des jeunes, notamment la langue des jeunes femmes québécoises porteuses d’avenir « maternatif »
Ces Québécois venus d’Haïti. Sous la direction de Samuel Pierre, Presses internationales de l’École polytechnique, Université de Montréal, avril 2007.
* Note de l’auteur : entre le 7 et le 28 janvier 2008, ce texte a été plusieurs fois soumis à la rédaction des quotidiens montréalais La Presse et Le Devoir… Les nombreux lecteurs de ces 2 excellents quotidiens attendent encore sa libre publication…