Les balles tuent, parfois les mots aussi le font…
J’avais 7 ans quand j’ai compris que j’étais différent, que je n’aurais jamais d’enfant et que ma religion allait me punir à vie pour mes péchés, or j’ai côtoyé Satan jusqu’à l’âge de 40 ans de peur de décevoir ceux qui étaient censés m’aimer, mais surtout de peur de finir seul et isolé face à mon orientation.
Oui me direz-vous la société est ouverte et nous « accepte » mais au quotidien, la réalité, la vraie réalité est souvent toute autre pour un homosexuel.
Bien sûr il y a les armes qui tuent, comme à Orlando, mais parfois la mort d’un homosexuel se vit seul, devant une corde à se demander où il pourrait bien l’attacher pour en finir parce que « oui », c’est compliqué d’être gai. Cette peur de la différence, cette peur du regard des autres, cette peur des ragots, cette peur d’affronter constamment les préjugés, cette obligation de sortir de chez soi en jouant la « game » du gars viril qui pour faire partie du groupe devra lui aussi raconter une bonne blague de « tapette » en sirotant sa bière tablette pis en pétant devant ses chums.
Pourtant je continue d’entendre que les gais sont « acceptés », et que tout va de mieux en mieux alors pourquoi le suicide chez les jeunes gais est cinq fois plus élevé que chez les jeunes hétéros? Pourquoi être gai dans plusieurs endroits est encore passible d’emprisonnement ou de peine de mort? Et pourquoi je dois me cacher quand je voyage avec mon amoureux? Et ce même ici au Québec?
« J’ai réservé sur Expédia madame, comme tout le monde, pourquoi soudainement en nous voyant demander un seul lit votre hôtel est-il plein? »
Si c’est tant accepté, pourquoi on m’a rejeté d’une équipe de hockey alors que j’étais l’un des meilleurs joueurs et son capitaine depuis deux ans? Pourquoi certains de mes clients en marketing m’ont déjà ordonné de ne jamais parler de mon orientation sexuelle sur les réseaux sociaux sous peine de résilier leur contrat avec moi? Pourquoi lors de funérailles, on m’a déjà demandé de laisser mon conjoint à la maison de peur de ne pas « choquer » les invités? Pourquoi j’ai dû vivre avec les stores fermés pendant des années parce qu’à l’arrivée de mon « chum » au souper, je l’embrassais et ça dérangeait nos voisins? Pourquoi je me suis fait expulser d’un loyer trois semaines après que mon conjoint ait emménagé avec moi, alors que j’y demeurais sans problème depuis trois ans? Pourquoi je ne peux donner de sang? Pourquoi dans un grand restaurant à la St-Valentin on m’a déjà recommandé une table isolée afin de ne pas déranger les couples « normaux » ? Pourquoi lors d’un nouvel emploi « municipal » auprès de jeunes on m’a demandé une copie de mon dossier criminel afin de prouver que je n’étais pas un pédophile? Alors qu’aucun des neufs autres intervenants hétéros n’a eu à le faire?
Pourtant je connais des batteurs de femmes qui n’auront jamais à présenter leur dossier criminel avant d’être engagés et à qui on va même peut-être confier vos enfants… Alors comment peut-on être aussi ouverts et tolérants alors que le taux de dépression, de toxicomanie et de suicides chez les gais ne cessent d’augmenter?
Et comment doit-on réagir en regardant 50 humains sauvagement abattus par un cinglé juste parce qu’ils n’étaient pas hétéros?
Désolé mais vous ne m’avez pas encore convaincu, je ne me sens pas plus « accepté »…
Au début des années 2000, lorsque j’ai retrouvé mon copain avec une balle de 30-06 dans la tête, c’était le 3e suicide de l’année en relation avec l’homosexualité dans cette communauté autochtone où je travaillais. J’avais juré sur mon honneur de ne jamais parler de notre relation et chaque jour depuis, je regarde ses parents qui ne savent rien et je regrette. J’entends encore son père au réveillon de Noel en présence de toute sa famille : « Moi les ostis de tapettes ça me dérange pas mais crisse qu’ils me cruisent pas les tabarnaques parce qui vont avoir affaire à moé… » (En mimant le geste d’un tireur d’élite)
Alors je ne peux m’empêcher de dire à voix basse dans ma tête depuis ce drame : « Vous n’avez pas appuyé sur la gâchette monsieur (…) quand votre fils s’est suicidé, mais vous avez fourni les munitions. »
Les balles tuent, parfois les mots aussi le font.
Bien sûr plusieurs gais vivent une vie heureuse et épanouie mais l’autre « gang », celle dont personne ne parle, ceux qui sont dans le jargon des « hors-milieu » ou dans le placard… Ceux qui comme moi ont des carrières où l’homosexualité n’est pas du tout toléré, ceux qui ne sortent pas dans les bars ni ne participent au « gay pride », ces gais-là qui m’aident la fin de semaine à démonter un moteur de char entre deux tounes de Metallica, ces gais-là de qui on ne parle jamais et qui vivent dans le secret, c’est à eux que je m’adresse aujourd’hui.
Je pense à mes chums dans la construction qui doivent jouer la comédie depuis vingt ans devant les gars du chantier pour ne pas perdre leur job, à mes amis hockeyeurs qui se cachent dans le vestiaire depuis des années de peur de perdre leur poste, à mes chums de ski-doo qui vivent avec le même coloc depuis dix ans, à mes amis pilotes d’avion qui craignent pour leur vie avant d’atterrir dans certains pays de peur d’être emprisonnés, voire même décapités, à mes chums de moto obligés de louer deux chambres de motel lorsqu’ils voyagent dans certains états américains pour ne pas « attirer l’attention » et se faire frapper, eh bien comme vous un jour en écoutant la télé et en bouffant son Kraf Dinner, on voit les corps de 50 gais et lesbiennes exécutés et c’est alors qu’on se demande : « Devrais-je sortir du placard à mon tour? »
Témoignage de Daniel Picard
Merci Daniel !