En Guise d’Éditorial
LETTRE DE CUBA ÉTAT VOYOU SELON G.W. BUSH
Par: Jacques Hébert, ex-Sénateur Canadien (quelques extraits)
J’ai eu le coup de foudre pour Cuba à l’occasion d’une visite-éclair à La Havane en 1947, un bon moment avant la révolution de Fidel Castro. Ah! la belle époque! Les Américains se sentaient ici comme chez eux dans cette quasi-colonie devenue leur maison de jeux et leur bordel, merveilleusement située à 90 milles de la Floride. La mafia s’occupait de tous les petits détails avec une belle efficacité : Meyer Lansky, Santo Trafficante, Lucky Luciano, etc.
En 1947, j’avais 24 ans, « tous mes cheveux, toutes mes dents », comme chantait alors Maurice Chevalier. À cet âge, bien entendu, on ne sait rien, on ne voit rien des horreurs du monde. J’étais l’innocence même : naïf, candide, un peu boy-scout, nul en tout, mais assez beau garçon! J’avais juré de revenir le plus tôt possible découvrir La Havane en profondeur, sans aucun doute la plus belle, la plus fascinante et, surtout, la plus humaine de toutes les villes de ce continent.
Occupé à parcourir le reste de la terre, je retournai à Cuba exactement 48 ans plus tard, en 1995. Vieux sénateur de 70 ans, à moitié chauve mais encore assez guilleret, j’avais réussi à convaincre plusieurs collègues de tous les partis, au Sénat et à la Chambre des communes, de l’urgence de créer un groupe d’amitié parlementaire Canada-Cuba. (Taïwan était déjà pris!) Comme il convenait, les membres m’élirent président, naturellement chargé d’organiser la première délégation de parlementaires canadiens à Cuba. (De grâce, en février, quand il fera moins 20 o par ici!)
En 1995, donc, je reviens enfin à La Havane, je vous raconterais des bouts de ce voyage mémorable, farci d’anecdotes fabuleuses, dont une libre discussion de deux heures avec Fidel Castro, etc. Pas le temps. Tant pis!
Cette fois, mon coup de foudre de 1947 se transforma en une passion véritable qui ne me quitte plus, au point que, depuis la retraite, pendant le tiers de l’année, je vis modestement à La Havane (au-dessus de mes moyens et au-dessus d’un garage).
Le lecteur habitué aux fines analyses de CNN, toujours justes et impartiales, aurait raison de se méfier des impressions d’un amant de Cuba, peut-être favorable à la révolution de Castro. Je ne suis ni communiste, ni marxiste (un rien socialiste, peut-être.), mais les miracles de la révolution cubaine ne cessent de m’émerveiller. Par exemple, le premier : au lendemain de la révolution, en un an, Castro a réussi à éliminer l’analphabétisme dans ce pays pauvre, encore davantage appauvri par ses 22,3 % d’illettrés. (À Haïti, pays voisin, 75 % de la population ne sait ni lire ni écrire. Quant au Canada, il devrait rougir de honte avec ses 22 % d’illettrés.)
Castro a également éradiqué neuf maladies, toujours endémiques dans les autres pays de la région : la polio en 1962, la malaria en 1967, le tétanos néonatal en 1972, la diphtérie en 1979, la méningoencéphalite (post oreillons) en 1989, la rubéole en 1995 et la coqueluche en 1997.
Cet « état voyou » a réduit la mortalité infantile à 5,2 pour mille naissances. On se meurt de connaître le chiffre des États-Unis, pays le plus riche du monde, qui a les moyens de faire mieux. Non. À 7 morts infantiles pour mille naissances, ils se font battre par les Cubains de 1,8 %! Faut comprendre que leur population noire, latino-américaine, pakistanaise et autres immigrés récents n’aident guère dans ce genre de statistiques. Faut comprendre. Oublions Haïti, j’aurais l’air d’accabler ce malheureux pays que j’aime bien. Avec les États-Unis, il est le voisin le plus proche de Cuba : on est tenté de comparer.
Je cherche encore le pays démocratique, moins démocratique ou pas démocratique du tout qui accorde au bien-être de ses citoyens et de ses enfants en particulier, une priorité comparable à celle de ce petit Cuba de 11 millions d’habitants, depuis quarante-sept ans persécuté, ostracisé, boycotté par son puissant voisin du nord, et les autres pays courageux plus ou moins dominés par Washington.
Murmure dans la foule. Je crois entendre quelques discrètes protestations de certains lecteurs :
« Ho! Hé! Hi! minute papillon! Tout cela est bien joli, mais que faites-vous des droits de l’homme bafoués d’odieuse manière dans ce pays socialiste, cet « état voyou » que les Américains ont bien raison d’avoir à l’oeil et où ils iront bientôt réinstaller la démocratie et les valeurs chrétiennes dès qu’ils en auront fini avec l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, etc. Oh! à la Baie des Cochons, ils avaient un peu raté leur invasion, mais, la prochaine fois, « watch out, amigos ! »
Le plan de démocratisation de Cuba est parfaitement décrit dans une rubrique officielle de 458 pages (Report of the Commission of Assistance to a Free Cuba), publiée par le Département d’État mai 2004, signée par Colin Powell et approuvée (aïe! tu parles!) par le président G.W. Bush.
N’importe qui peut se procurer ce document officiel à la Bibliothèque du Congrès à Washington, ou encore le lire sur le site Internet du Département d’État (www.state.gov). Les gens pressés et qui n’ont peur de rien se contenteront des analyses succinctes et néanmoins judicieuses de CNN.
Dans ce document à la fois sublime et officiel, les Américains dévoilent leurs plans pour l’après-Castro. (On finira bien par assassiner cet increvable qui dérange le monde!) Un vaste projet de démocratisation express de l’« état voyou » qui se prend pour un pays souverain.
Pendant quelques jours, on laissera entrer librement à Cuba les frustrés de la révolution de 1959, également connus comme la mafia cubaine de Miami, tous démocrates dans l’âme. qui ont tendance à voter en masse pour les Bush, père, fils et frère. Ça promet un joli carnage, où des gens d’une même famille vont s’entre-déchirer, se tordre le cou, s’arracher des lambeaux de plantations de tabac, des boutiques miteuses ou de belles maisons de la Quinta avenida.
Toujours selon le document officiel du Département d’État, les troupes américaines débarqueront alors pour freiner cette pagaille sanguinaire et mettre hors d’état de nuire les citoyens cubains pas d’accord avec la « démocratisation » à la Bush.
Réaliste, le document reconnaît que ça fera beaucoup de morts et, par conséquent, un grand nombre de petits orphelins. C’est prévu. Comptez sur l’immense compassion du président Bush et de ses conseillers choisis parmi l’élite morale des États-Unis : preachers illuminés délirants et autres born again frénétiques. Enfin, le document contient un chapitre capable d’arracher des larmes à Condoleezza Rice, une femme, il est vrai trop sensible et trop tendre pour son genre de job. Voici donc la belle idée humanitaire: l’organisation immédiate d’un large comité pour favoriser l’adoption de ces milliers de beaux petits orphelins cubains, encore tout frais, par de bonnes familles américaines, choisies parmi les gens d’église et de principes.
Quelle idée généreuse, brillante, sûrement d’inspiration divine, qui réchauffe le coeur de tout être humain digne de ce nom! Les Mères Teresa peuvent aller se rhabiller : c’est Colin Powell qui mérite le prix Nobel ou, à la rigueur, Condoleezza Rice, si nos braves et blêmes Suédois veulent absolument une Noire, et une femme par-dessus le marché!
Mais je m’égare, je fais des détours, je tergiverse, sans doute inconsciemment, pour éviter de répondre à la question directe sur les droits de l’homme à Cuba. Et pourtant, elle est très sérieuse. En ce moment, c’est sans doute ici que l’on trouve la plus grande concentration d’abus épouvantables contre les personnes humaines, dénis de justice, inénarrables atrocités, monstruosités qui nous ramènent droit au temps de la barbarie.
Une honte ! Dans un vaste camp de concentration on a rassemblé quelque 500 prisonniers qui vivent comme des bêtes, souvent encagés, enchaînés, privés de toute protection juridique, loin des regards de la Commission des droits de l’homme, de la Croix-Rouge, du National Council of Churches, voire même de Reporters sans Frontières, vaillante ONG qui consacre ses énergies à la défense des journalistes libres emprisonnés par les régimes totalitaires. Hein? et ça se passe à Cuba?
Hélas, oui! Dans un petit port de la province de Guantanamo, à l’extrême sud du pays, sans doute pour ne pas énerver les touristes de Varadero et de Cayo Coco! En toute honnêteté, on doit préciser que cette parcelle de leur territoire avait été arrachée aux Cubains par les Américains en 1902, au moment où cessait l’occupation militaire de l’île par les États-Unis (pour continuer sous une autre forme). Les Américains avaient tout simplement besoin d’un port des Antilles pour entreposer le charbon mis à la disposition de sa marine de guerre et de sa flotte marchande. Un petit service entre voisins.
Ben voyons! Le charbon étant passé de mode, les Américains ont trouvé une nouvelle vocation à Guantanamo. Pas de quoi fouetter un chat!
Bon! voilà une affaire de réglée! N’en parlons plus. « Aïe! me crient des Canadiens bien informés qui se tapent une demi-heure de CNN tous les jours, entre deux matchs de hockey. Pas si vite! Parlez-nous des 74 poètes et journalistes indépendants actuellement emprisonnés par le régime Castro dans des prisons de la Havane et d’ailleurs. »
Je ne nie rien, mais il y a une petite différence entre les prisonniers américains de Guantanamo et ceux de Castro : ces derniers ont tous subi un procès selon les lois du pays. Pas les autres. On a prouvé, devant les tribunaux, que ces « poètes » recevaient un salaire des agents de la CIA, tous grands amateurs de poésie comme chacun sait. Mission de ces mercenaires anticastristes : déstabiliser Cuba, saboter la révolution socialiste, et même, si possible, avec l’aide de Dieu, assassiner le Tyran.
Est-il pensable que certains de ces « poètes » soient d’honnêtes adversaires du régime socialiste actuel, comme ce serait leur droit, et rêvent de ramener leurs compatriotes égarés à la démocratie de Batista et de Lansky? Oui, c’est pensable. Des innocents ont peut-être été injustement condamnés à Cuba, comme il arrive dans tous les pays du monde, y compris le Canada. Au moins nos propres erreurs devraient nous interdire de juger les autres avec une arrogance à peine feutrée comme si nous étions sans péché.
A-t-on oublié l’arrestation, en 1942, de 22 000 citoyens canadiens d’origine japonaise sous prétexte que nous étions en guerre contre leur pays d’origine et que ces braves gens pourraient peut-être aider Togo et sa horde de généraux sanguinaires? Allez ouste! Tous dans un camp de concentration! Quarante-six ans plus tard, le Canada a remis à chacun une somme de 21 000 $, accompagnée de plates excuses.
A-t-on oublié. Bah! la liste serait trop longue, trop humiliante aussi, et je dois rester sensible aux problèmes d’espace des journaux qui oseront (peut-être!) publier ce texte!
Fidel Castro a bien réussi un de ses grands paris : offrir des
services médicaux complets et gratuits à tous les citoyens cubains, depuis leur naissance jusqu’à la mort. Quelques chiffres rarement cités à CNN et à Radio-Canada :
Cuba compte 590 médecins pour 100 000 habitants, alors que la moyenne en Amérique latine est de 160. Taux de mortalité infantile: 5.2 pour 1 000 à Cuba, alors que dans la très démocratique République Dominicaine, il est de 31 pour 1 000. et de 80 pour 1 000 en Haïti.
Espérance de vie à Cuba : 74,7 ans, alors qu’elle est de 51 ans en Haïti, et de 74 aux États-Unis. Oups! Dépassés de 0,7 par les « voyous »!
Et n’oublions jamais que ce pays minuscule et démuni qui compte en ce moment 66 000 médecins en disperse près de 25 000 dans 60 pays du monde, où ces médecins volontaires vont soigner gratuitement des pauvres, encore plus pauvres qu’eux. À propos, combien de médecins canadiens sacrifient deux ans de leur carrière pour aller soigner des pauvres dans des trous perdus d’Afrique ou d’ailleurs? Qu’on m’envoie des chiffres pour que je puisse dire à mes amis médecins de Cuba qu’ils ne sont pas les seuls et que leurs collègues du Canada se démènent de leur bord.
On peut comprendre l’immense honneur que je ressens de confier ma veille carcasse à cette invraisemblable et miraculeuse armée d’êtres humains, plus humains que nature, vivant comme des pauvres avec les pauvres, pour les servir, les guérir et les aimer.
Même dans leur propre pays, les médecins les plus prestigieux demeurent des pauvres. J’ai oublié combien les médecins canadiens gagnent par année. Hélas! Hélas! La mémoire fout le camp quand on vieillit, mais je sais que les médecins cubains, en quittant l’école de médecine, touchent un minimum de 19 $ canadiens par mois. Le maximum pour les spécialistes : 60 $ ou un peu plus. Vous avez bien lu. Les miens, parmi les meilleurs, viennent à l’hôpital à bicyclette. Par contre, comme tous les Cubains, ils feront instruire leurs enfants gratuitement, depuis la maternelle jusqu’à l’université inclusivement. Le coût de la vie, loyer, électricité, nourriture de base – est dérisoire, etc.
Sur le plan voyage, les Canadiens se distinguent encore cette année en fournissant le groupe le plus important de touristes, venus de tous les coins du pays: 600 000 sur un total de plus de deux millions de visiteurs étrangers. C’est pas rien. (Et ça enrage nos chers voisins!
Ah! Varadero, les plus belles plages du monde à moins de quatre heures de Montréal ou de Toronto! Une semaine à se bronzer, étendu sur du sable fin comme du sel de table. En revenant, on va leur en mettre plein la vue aux filles du bureau!
Au bout de la semaine, allez hop! l’avion du retour avec la bouteille de rhum, la boîte de Cohiba et un plein sac de petits souvenirs « artisanaux » achetés à la boutique de l’hôtel (et importés de Chine) pour rappeler aux parents et amis médusés qu’on a eu l’audace d’aller passer sa semaine de vacances dans un pays communiste. Au moins, ces braves Canadiens contribuent, à hauteur de plusieurs millions de dollars chaque année, au budget de Castro pour ses écoles, ses hôpitaux et ses autres manies. Certains de ces experts de Varadero ont parfois des opinions bien arrêtées du genre : « Bien sûr, le régime a ses bons côtés, mais comment expliquer que tous les Cubains veuillent fuir leur pays pour immigrer en Floride? »
Faux. La grande majorité de la population a un profond respect pour Fidel Castro, plusieurs le vénèrent comme un héros, mais il y a un certain nombre de Cubains qui n’ont pas la fibre révolutionnaire, surtout chez les jeunes. Veulent pas changer le monde et rêvent plutôt d’aller à Miami rejoindre les huit cent mille Cubains souvent anticastristes, travailler chez McDonald’s, servir les riches à des salaires de famine et finir par se payer un jour une belle grosse voiture américaine presque neuve.
C’est aussi le fantasme de millions d’autres désouvrés qui, loin du péril socialiste, vivent dans les pays voisins pourtant très libres, très démocratiques et très, très chrétiens, tels la République Dominicaine, Haïti, El Salvador, le Guatemala, sans parler du Mexique, etc.
En vérité, des millions et des millions de pauvres de tous les continents voudraient s’installer aux États-Unis, qui seraient vite submergés, débordés, étouffés très probablement par ces hordes de malheureux, souvent malades, illettrés et pleins de poux. Heureusement, les agents d’immigration et les garde-côtes américains ont l’oeuil : ils les refoulent sans pitié, y compris ces tombeaux flottants surchargés d’Haïtiens aux grands yeux épouvantés qui finiront chez les requins.
Il n’en est pas de même, oh non! Pour les réfugiés cubains envers qui les Américains ont toutes les complaisances.
Bienvenido, amigos! On vous loge, on vous trouve du travail, on vous chouchoute. » Particulièrement accueillante, la mafia cubaine de Floride pavoise dès que le moindre de leurs anciens compatriotes touche le sol des États-Unis et témoigne devant les télévisions émues et frémissantes des horreurs subies aux mains des communistes de Castro.
Bref, bravo à nos 600 000 vacanciers canadiens qui, chaque année, se payent une semaine de soleil à Varadero, à Cayo Largo ou à Cayo Coco. Qu’ils atteignent bientôt le million
Jacques Hébert (ancien sénateur Canadien)
La Havane, Cuba
Réérence : Carl Fombrun