Pierre Karl Péladeau et président et chef de la direction de Québecor
Vendredi matin, à l’occasion d’un appel avec les analystes où Air Canada dévoilait une perte de 4,647 milliards de dollars pour l’année financière 2020, le président et chef de la direction de l’entreprise, Calin Rovinescu, a fait le commentaire suivant concernant l’achat projeté de Transat : « The proposed acquisition is a complex and sensitive matter and our ability to expand on the current level of disclosure is framed by various confidentiality, governance, contractual and other considerations. As such we will not be providing additional information at this point in time ».
Cette déclaration est pour le moins surprenante, voire troublante et choquante, parce qu’elle met de plus en plus en péril, sans considération aucune, la pérennité même de Transat. Une incertitude qui perdure depuis près d’un an et demi.
Dix-huit mois après avoir annoncé sa volonté de faire disparaître Air Transat en mettant sur la table une offre d’achat du voyagiste québécois à 13 $ par action, offre bonifiée à 18 $ le 11 août 2019, voilà que la direction d’Air Canada, ayant obtenu l’accord du gouvernement du Canada, s’interroge sur sa capacité ou sa volonté de clôturer la transaction alors qu’elle requiert encore l’autorisation de la Commission européenne et de sa commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager.
Par l’engloutissement de Transat, étant un concurrent direct pour la très grande majorité des trajets transatlantiques et des « destinations soleil », Air Canada concentrerait plus de 60 % du marché, un seuil inacceptable dans quelque industrie que ce soit.
Il y a lieu de se questionner sur les réelles motivations de Transport Canada et du gouvernement du Canada d’autoriser la transaction alors que le Bureau de la concurrence en arrivait à la conclusion suivante dans son rapport du 27 mars 2020 remis au ministre des Transports : « le commissaire a déterminé que la transaction envisagée entraînerait vraisemblablement des effets anticoncurrentiels considérables en raison de l’élimination de la rivalité entre Air Canada et Transat dans les zones de chevauchement de leurs réseaux ».
La Commission européenne, qui fait son travail, s’interroge également sur la problématique de la concurrence et sur l’argument principal défendu par Air Canada dans ce dossier, soit celui de la « failing firm ». À la lecture des motifs évoqués par le gouvernement du Canada pour justifier son autorisation, il est manifeste que c’est cet argument qui a été retenu et il se résume simplement : à défaut d’accepter la proposition, l’entreprise disparaitra!
Or, la situation est tout autre. Tel que divulgué par Transat le 12 janvier dernier, j’ai offert une alternative. Contrairement aux membres du conseil d’administration de Transat qui ont les mains liées par les termes de leur entente avec Air Canada, le ministre des Transports aurait dû communiquer avec moi, comme l’a pourtant fait la Commission européenne à plusieurs reprises, pour connaître les détails de mon offre.
L’argument du gouvernement fédéral du « failing firm » est d’autant plus odieux et fallacieux qu’Air Canada est elle-même responsable de faire trainer le processus d’autorisation en Europe parce qu’elle ne fournit pas les renseignements demandés par la Commission européenne pour que cette dernière complète son analyse et puisse ainsi rendre sa décision alors que le processus est suspendu depuis le 22 décembre 2020.
Pour celles et ceux qui en doutent, j’ai les moyens de mon ambition et je souhaite reprendre Transat pour que les Québécoises et les Québécois puissent continuer de bénéficier du choix que la concurrence procure. Air Canada, comme Bell Canada d’ailleurs, issue d’un ancien monopole exsangue du concept de service à la clientèle, veut rétablir son monopole d’antan pour mieux récompenser ses actionnaires et non sa clientèle et les citoyennes et les citoyens.Durant les deux dernières décennies, j’ai prouvé que la concurrence a bien meilleur goût. Avant que Québecor ne reprenne les rênes de Vidéotron en 2000, l’actionnaire majoritaire, André Chagnon, disait que la consolidation avec Rogers était nécessaire pour se battre contre Bell Canada. Vingt ans plus tard, les mêmes arguments reviennent nous hanter alors que l’achat de Vidéotron par Québecor est une réussite québécoise complète et pérenne. Nous avons implanté à la culture de l’entreprise le service à la clientèle, l’innovation et des nouveaux produits de meilleure qualité comme l’accès internet, la téléphonie filaire et la téléphonie sans fil. Le Bureau de la concurrence du Canada et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) ont indiqué, à plusieurs reprises, que c’est au Québec que les prix sont les meilleurs. Il y a deux raisons qui expliquent cette réalité : la concurrence et la détermination de gagner contre les visées monopolistiques pour le bénéfice de l’économie du Québec et celui des Québécoises et des Québécois.
Selon toute vraisemblance, ainsi que dans la continuité des propos tenus par son président et chef de la direction, Air Canada sera en défaut de respecter la date butoir du 15 février pour conclure la transaction, comme elle s’y était pourtant engagée. Ainsi, les membres du conseil d’administration de Transat retrouveront leur liberté leur permettant d’assurer la pérennité de l’entreprise, son rayonnement dans la communauté et les retombées économiques considérables pour les Québécoises et les Québécois. Air Canada les invitera toutefois à convenir d’un énième délai engendrant comme conséquence une fragilisation continue de l’avenir de Transat.
Je les invite à trouver les termes raisonnables d’une entente avec mon groupe pour que nous puissions sauver Transat, ensemble.