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Mon pays, c’est le monde

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LA GOUVERNEUR GÉNÉRALE DU CANADA


MICHAELLE JEAN

Mon pays, c’est le monde.

Très droite, presque provocante, la gouverneure générale du Canada s’est levée au milieu de son grand salon. La silhouette est fragile, le sourire un peu triste, les yeux à l’occasion embués.

‘Des exilés, des métèques, des nomades, le monde n’est fait que de ça, dit-elle. Regardez-moi!’ Cela fait déjà une heure que la très honorable Michaëlle Jean répond aux questions des journalistes de L’actualité, et le thème de la négritude revient très souvent. ‘Je suis une « fanm vanyan », une femme vaillante, comme on dit en Haïti.’

La chef d’État du Canada est pour un instant redevenue la réfugiée, la descendante d’esclaves, la femme de race noire, fière de sa nomination et blessée par les réactions qu’elle a suscitées. ‘Je pleure, mais je suis solide.’

Installée dans sa nouvelle demeure le mardi 27 septembre, hôtesse le soir même d’une réception rassemblant plusieurs centaines de personnes, la gouverneure générale a dîné avec les membres du gouvernement le mercredi.

Le jeudi soir, elle a reçu plus de 200 représentants du corps diplomatique en poste à Ottawa. Et le vendredi, en début d’après-midi, elle donne sa première entrevue. ‘Crevée’, admet-elle, mais manifestement satisfaite de se vider le coeur auprès d’anciens collègues…

Nous étions devenus des personnages à abattre. Nous avons essuyé les pires injures – ‘renégats’, ‘traîtres’, les pires mots ont été utilisés. D’un seul coup, nous qui nous sentions et qui nous sentons encore profondément québécois, parce que le Québec a été le lieu de notre enracinement au Canada, nous avons eu ce sentiment de bannissement.

Ça m’a pris tout mon petit change pour rentrer à Montréal, ma ville, ne sachant pas qui je croiserais sur le trottoir, ni ce qui m’attendait: un crachat? Autre chose? Et pour retourner à notre petit chalet de Saint-Didace, dans Lanaudière, région que nous aimons plus que tout, en ignorant comment on serait accueillis.

C’est terrible de se sentir banni d’un lieu auquel on pense appartenir.

Toutes ces questions de la pauvreté, du racisme, du sexisme, toutes ces solitudes mises ensemble, tous ces ghettos qui font que les gens n’arrivent plus à se retrouver, à dialoguer, à faire des mises en commun ou à partager, tout cela est un terreau tellement fertile donnant prise à toutes les barbaries.

Et je me dis que s’il y a un combat à mener en ce moment dans le monde, c’est de repousser au plus loin ces barbaries.

Quand on vient d’ailleurs et qu’on s’établit dans un pays, on a envie de le comprendre. Très souvent, des gens venus d’ailleurs connaissent mieux l’histoire du pays d’accueil… Pour prendre racine, il faut comprendre, interroger; il faut aussi aimer.

Je suis en Italie, je deviens une Italienne de plus. Je suis en Amérique latine, je deviens une Latino-Américaine. Je suis au Québec, je suis une Québécoise. Et je vis au Canada. Mon pays réel, c’est le Canada.

Pour tous les Haïtiens, l’histoire de l’esclavage est marquante et fondatrice, car la première révolte d’esclaves sur le continent nord-américain est venue d’Haïti. Mes armoiries comportent donc une représentation de ce combat-là pour la liberté, pour accéder à la dignité d’être humain. C’est cette image très puissante du ‘Marron inconnu’, l’esclave en fuite qui souffle dans une conque pour appeler au soulèvement dans toute l’île, pour appeler à l’affranchissement.

Vous ne pourrez jamais faire de moi, peu importe la fonction que j’occuperai, quelqu’un de l’indifférence. Ce n’est pas possible.

Je serai d’abord une femme qui, oui, est sensible, qui parfois pleure. Je crois qu’il est important de redonner de l’humanité à certaines fonctions qui exigent, dit-on, de la solennité. Je trouve que des larmes sont très solennelles.

On a aussi noté qu’au moment du gospel j’ai marqué le rythme… Regardez Nelson Mandela. Quand Mandela, dans toute sa solennité, dans tout ce qu’il représente pour l’humanité – pas seulement pour son peuple -, quand il entend le rythme, que fait-il? Son corps est pris par lui, il se permet de le vivre, il marque la cadence. C’est en lui.

Quand Michaëlle est devant un choeur de gospel qui vient la chercher, pour toutes les raisons qu’on peut imaginer, car le blues fait partie de toutes les communautés noires d’Amérique, son corps répond. Et il se trouve que la gouverneure générale est aussi cette femme-là…

Quand j’étais au petit écran, il y a des gens qui s’étonnaient d’y voir quelqu’un de différent. Et certains, qui étaient différents aussi, mais pas nécessairement par la couleur, s’associaient à moi. De jeunes Blancs se disaient: ‘Tiens, ça ressemble au monde auquel j’appartiens.’ Dans mes rencontres avec de jeunes Amérindiens, cette réaction revient toujours: ‘Ah? C’est donc possible!’

Si j’ai dit oui à la proposition qui m’a été faite de devenir gouverneure générale, c’est parce que je voulais que l’impossible soit possible. insoutenable. Mais je suis vanyan fanm, comme on dit en créole, une femme vaillante. Je pleure, mais je suis solide.

Ce qui m’a fait le plus mal, c’est de voir, entre autres, les 30 années de travail en cinéma de Jean-Daniel Lafond (son époux) détournées de leur sens et manipulées. Moi, j’étais capable de supporter la pression; j’avais dit oui. Jean-Daniel aussi avait dit oui, mais de voir comment on s’est attaqué à ses films, en les détournant de leur sens…

Recu du coin de Carl par le truchement de Dominique Fombrun Carvonis, Moulin-sur-Mer, Haiti

Biographie de MICHAELLE JEAN

Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean, C.C., C.M.M., C.O.M., C.D., Gouverneure générale et Commandante en Chef du Canada