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Un Québécois en prison – Récit de François Sylvestre

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Un récit de François Sylvetre

Il était une fois…un chauffeur qui accepte de faire un voyage en Floride avec le camion Inter Eagle 1999 d’une compagnie qui a une grosse flotte de 2 camions.

26 octobre : Départ de Montréal mardi après-midi pour aller dropper un full load à Orlando le vendredi matin.

28 octobre : Arrivée en soirée chez le client, après être arreté faire rajouter du fréon dans l’ A/C car il faisait plus de 90 degrés dans la cabine.

29 octobre : 4 heures pour se faire vider à la mitaine (tout était sur le plancher, pas de palettes). En après-midi, sur le retour (avec trailer vide jusqu’en Caroline), le camion brise encore et commence à bucker (pareil comme si les jacobs étaient dessus, grosse boucane blanche). J’arrète au garage, opposé au Flying J de St. Augustine, FL, et on trouve que le moteur a 2 injecteurs qui ne fonctionnent pas. Impossible de tester et réparer avant lundi. Ma conjointe et moi, on trouve un motel pour la fin de semaine.

30 octobre : Belle journée, on va à la mer à St. Augustine Beach.

31 octobre : Dimanche soir, fête de l’Halloween, je dis à ma conjointe que je vais faire un petit tour au bar voisin voir la fin du concours de costumes. Ma conjointe reste à l’hotel et soigne son coup de soleil.

1er novembre : Passé minuit, de retour des toilettes, je vois un gars, assis à ma place, en train de boire ma bière ! Je lui ai dit ma façon de penser et voyant l’altercation (pas une bataille), le bar a appellé la police et je suis expulsé du bar manu militari. Entre un local et un touriste, faut croire que c’est le local qui a raison…

On me menotte, m’embarque dans la voiture et on m’emmène… pas au poste, mais à la prison du comté!

Après photo, empreintes, douche et bleu de prisonnier, on m’enferme dans une cellule sans que je réussisse à complèter un appel. Personne ne me dit que le système téléphonique de la prison ne permet que les appels à frais virés…seulement à des numéros non-cellulaires.

Vers neuf heures, je comparais rapidement via télévision en circuit fermé. J’apprends que je suis accusé de « disorderly intoxication » (un ‘’misdemenor ») et que ma caution est fixée à 200 $US. Pas vraiment eu la chance de dire quoi que ce soit, retour en cellule.

Vers midi, je réussis à rejoindre la mère de ma conjointe (seul numéro de téléphone non-cellulaire que je me rappelle) et l’informe oû je suis et que ça prend 200 $ pour sortir.

En après-midi, ma conjointe qui avait déjà arpenté un grand bout de plage à la recherche d’un cadavre de touriste, vient en taxi à la prison pour payer ma caution (25 $ aller-retour). Surprise : ils refusent le paiement !

Elle demande pourquoi, elle se fait répondre sèchement que c’est à cause de l’Immigration (‘’INS hold »). Impossible d’avoir plus de détails. Arrogants, ils n’en disent pas plus.

Je suis transféré dans un autre bloc cellulaire pour la suite de mon séjour. 8 cellules de 2 lits sur deux étages, une grande salle commune avec deux tables pour quatre et un coin douche. Nous sommes 17, chaque repas est un genre de jeu de chaise musicale…

Une cellule reste débarrée et on est trois à coucher sur des lits de camp dans la salle commune avec fluorescents 24 heures sur 24 (Cellules barrées la nuit et lors des changements de gardiens).

Vers 17 heures, on soupe : c’est pas bon. Un style de Kraft Diner avec des petits morceaux de saucisse à hot-dog, une louche de fèves vertes, 2 tranches de pain blanc, un peu de pouding et 4 oz. de Tang à l’orange.

De 19h à 23h, temps libre, ça joue aux cartes, ça regarde la télé, seul poste permis : PBS. Je fais la file pour le téléphone. Malgré le bruit, j’apprends de la mère de ma conjointe qu’ils ont refusé le paiement. Je n’en reviens pas et je me résigne à passer une autre nuit en cellule.

2 novembre : Cinq heures du matin, on déjeune : c’est vraiment pas bon : Grits tiède, un peu d’omelette au baloney, 2 tranches de pain blanc, 2 sachets de confiture et un demiard de lait. On retourne se coucher.

En avant-midi, je lis le journal. Surprise ! Mon nom est là, dans la chronique Police Report…

Midi, on dine : encore, c’est pas bon : 2 saucisses hot-dog, un peu de coldslaw, 2 tranches de pain blanc, 2 biscuits et 4 oz. de jus dilué (un mauve pâle entre le jus de raisin et le Kool-Aid).

J’essaie de rejoindre le consulat canadien à Miami mais ça marche pas : chaque sonnerie au consulat fait dring-dring au lieu de drrriiinnng, après deux coups le système de la prison dit que ça ne répond pas car il a compté 4 sonneries.

J’essaie de rejoindre les services consulaires à Ottawa mais ça ne marche pas : ça répond mais le message d’accueil ne peut accepter un appel à frais virés…

Ma conjointe ne peut pas venir me voir car il faut appliquer 48 heures à l’avance et être accepté. Comme on ne sais pas quand je serai libre, on décide qu’elle libère la chambre d’hotel et qu’elle retourne à Montréal, car le camion est maintenant réparé. Au moins, je pourrai lui parler dans 2 ou 3 jours.

En soirée, elle revient une dernière fois à la prison. Elle laisse une copie de mon waiver (valide jusqu’en 2008) et de border crossing card (valide jusqu’au 16 novembre 2004) mais ils refusent l’argent comtant. Elle doit aller à pied le long de la US 1 à un garage situé à un mile faire faire un money order. Vers 23h, elle embarque au Flying J avec un gentil copain à nous de Tracy Transport qui fais du Miami.

Un haut-gradé passe par hasard dans le corridor, je lui passe un note concernant les 2 nouveaux documents dans mon dossier. Gentil, il me revient avec une promesse que le ‘’booking » étudiera ça le lendemain matin.

Je regarde un peu les élections. Four more years.

Je remplis un formulaire de cantine, juste au cas…

3 novembre : Midi est passé et pas de nouvelles du booking. En après-midi, on a eu droit à une heure dans la cour extérieure, ça fait du bien. En soirée, j’apprends que c’est l’I.N.S. (l’immigration américaine) qui a mis un ‘’hold » sur mon dossier et qu’eux-seuls peuvent l’enlever. Ça sert à rien de prendre un avocat, il faut attendre. J’espère seulement que ça ne sera pas aussi long que pour le mexicain illégal qui attend depuis un mois et demi. J’apprends aussi mercredi soir que je passerai en cour soit jeudi matin, soit vendredi matin. Encore un peu de patience…

4 novembre : Midi est passé et je n’ai pas comparu. Faut croire que ce sera le lendemain matin.

5 novembre : Huit heures et demi, on nomme mon nom, je passe en cour. Même pas le temps de se brosser les dents, ni de se peigner. Faut y aller. On nous pose menottes et entraves aux pieds et on nous embarque dans une panier à salade pour aller au palais de justice situé…l’autre coté de la rue!!!

Tous assis dans la salle de cour, on attends. Le juge arrive, ça commence. Un accusé à la fois. Puis le District Attorney, me nomme avec trois autres. On sera tous libres si on plaide coupable, car on a passé assez (trop!) de temps en prison. Je mentionne qu’ils ont inversé mon nom et prénom. Le D.A. s’en excuse. Je plaide coupable. Pas d’amende, rien que des frais de cour qui s’élèvent à ‘’seulement » 255 $US.

Je mentionne au juge que cela ne me libèrera pas de la prison car j’avais déjà essayé d’être libéré sous caution et que ça n’avait pas marché. Elle appointe un avocat pour qu’il vienne à la prison pour m’aider. Un peu avant midi, celui-ci arrive et commence son sermon en me parlant de 9-11, du Patriot Act, de la sécurité nationale, etc. Je lui mentionne que mon waiver valide pour 5 ans a été émis après le Patriot Act. Il raconte que je devrais toujours connaître quelqu’un dans les villes oû je voyage. Je lui réponds que dans mon cas, c’est pas vraiment possible. Il mentionne qu’il n’a aucune autorité et qu’il n’est là que de façon trop bénévole. Il a dit qu’il allait téléphoner pour voir et il n’était toujours pas revenu au moment oû je devais retourner en cellule pour diner. Il ne m’a pas reconvoqué plus tard non plus.

En après-midi, j’ai pu enfin parler avec ma conjointe car elle était arrivée à la maison. Je lui mentionne que j’ai terminé avec les autorités du comté mais que je suis toujours pogné en prison avec mon ‘’I.N.S. Hold ». J’apprends que la personne chargée de mon dossier à l’ambassade à Ottawa attends mon appel sur une ligne spéciale pour pouvoir accepter les frais d’appel mais elle est déjà parti pour le weekend.

6 novembre : Impossible de rejoindre la mère de ma conjointe. Le système téléphonique de la prison refuse son numéro. Probablement que je suis rendu à la limite de crédit par numéro (500 $US ?). Faut dire qu’à 4.79 $US la première minute et 0.79 $US la minute par la suite, ça monte une facture assez vite.

Voyant que je n’avais plus vraiment beaucoup de patience, ne pouvant rester à rien faire et n’ayant rien à perdre, ma conjointe commence à approcher les médias. Sur le clavardage des chauffeurs, on lui recommande aussi d’aller de l’avant car aucun de ceux-ci n’aimeraient se retrouver dans ma situation.

7 novembre : Je donne du fond de ma cellule une entrevue à un quotidien et un réseau de télé du Québec. Ça me remonte le moral pour la journée et me donne confiance que ce cauchemar va bientôt finir. Ça passe aux nouvelles télé de 17h et de 23h.

8 novembre : Dix minutes avant l’heure prévue oû on attendait mon appel à Ottawa, un gardien vient me chercher et me dis de ramasser mes affaires. Ou bien c’est un hasard ou bien ils ont écoutés mes conversations ou ils ont été averti, je n’en sait rien.

Le fait est que l’INS est là pour venir de chercher. Il me menotte et m’embarque dans sa voiture banalisée. Direction édifice fédéral à Jacksonville. En chemin, je lui mentionne que c’était vraiment impossible que l’INS veulent me retenir comme illégal alors que je traverse la frontière presqu’à chaque semaine, qu’il devait y avoir une erreur et que, selon moi, c’était parce qu’on avait inversé mon nom et mon prénom. Arrivé à son bureau, il ouvre son ordi, y entre l’empreinte de mon index et 10 secondes après, l’ordi affiche que mon dossier est conforme, la prison avait inversé mon nom et prénom dans mon dossier et dans la demande à l’INS!!!

Il s’excuse et me mentionne qu’avec les élections et le Super Bowl qui s’en venait à Jacksonville, ils étaient sur les dents et vérifiait tout comme il faut, même si ça prenait plus de temps…

Cinq minutes après, j’étais enfin en liberté et 60 $US de taxi plus tard, je remettais enfin les pieds dans le camion à St. Augustine.

10 novembre : J’arrive à Montréal 48 heures plus tard. Parce que le trailer est vide, le boss est pas content. Je lui dis que j’ai refusé de revenir en avion pour ramener son #@*@& de camion et que s’il n’y avait pas trouvé de load, c’était pas mon problème. De toute facon, il n’a rien fait pour aider à me sortir de là, à part parler quinze secondes à la télé la veille de ma remise en liberté. Je lui dois rien et je regarde déjà pour un autre employeur.

La morale : Si votre nom de famille peut être un prénom comme pour les Guy, les Robert, les André et les Sylvestre et si vous vous faites arrêter aux USA, assurez-vous qu’ils ne les inverseront pas et vous vous éviterez un séjour inutile en prison pour n’être fiché nulle part et ainsi passer pour un illégal aux Etats-Unis. Je prévois d’ailleurs écrire à mon député provincial pour lui faire part de ce problème sur le permis de conduire du Québec, oû il devrait être écrit,

a) soit ajouté au dessus:

Nom de famille/Family name Prénom/Surname

SYLVESTRE FRANÇOIS

b) Soit une virgule ajoutée:

SYLVESTRE, FRANÇOIS

Ou
c) soit des minuscules et des majuscules pour que ça donne :

SYLVESTRE François

Faut pas se fier seulement à l’intelligence et la perspicacité des policiers.