Trois pieds de boucane
J’étais, je le confesse, une bonne fumeuse. J’adorais le goût, le geste, la sensation. Fumer était lié à mes plus profonds sentiments, mes plus grandes joies, mes plus grands malheurs. Durant des années la cigarette a été ma plus fidèle amie, ma confidente, mon compagnon, une partie de ma vie. Elle a été invitée à mon mariage, au baptême des enfants, à mon divorce et à tous les rendez-vous que j’ai eus depuis. Je fumais partout. Dans ma chambre, au bureau, au volant de mon auto, au resto, au fumoir du salon funéraire, sur la rue, à l’épicerie, dans les magasins. J’adorais ça. Je ne pouvais juste pas m’imaginer sans fumer.
Ma boucane était de tous les partys, tous les galas, toutes les réceptions, toutes les réunions, tous les textes que j’ai écrits. Elle rencontrait tout le monde et m’accompagnait partout. Pour elle, j’aurais fait bien des courbettes. Je me serais même levée aux aurores pour m’assurer qu’elle était bien à côté de moi et que je ne la perdrais pas. Pour elle, j’ai dépensé une fortune et si elle n’a ait pas été si exigeante, je serais propriétaire d’un condo au bord de la mer en Floride. Quarante ans de tabac et de fumée, c’est de l’argent. Surtout si on achètes les cigarettes au Québec alors qu’elles se vendent 8$ le paquet de 20.
Il y a maintenant un an que j’ai arrêté de fumer. Pas par vertu, pas par esprit d’économie, pas pour faire comme les autres, pas pour suivre la mode, pas parce que fumer, c’est quétaine.
Si j’ai arrêté, c’est que j’ai tout simplement pas eu le choix. Deux autres bonnes puffs et on me retrouvait en cendres et en poussières. J’ai pas arrêté de mon plein gré. La maladie m’a arrêtée. De mon plein gré et de toute ma vie, je n’avais jamais vraiment songé à arrêter et pourtant, quand je regardais autour de moi, je réalisais que je n’étais plus dans le coup. Difficile? Oui. Très difficile, surtout après les repas, mais on en meurt pas et avec le patch, ça se fait très bien.
Je n’ai pas vraiment un grand mérite. C’était arrêter ou crever et comme je préfère la vie à la boucane, ma période boucane est maintenant loin derrière moi. Tout le monde peut arrêter de fumer. Si moi j’ai réussi, tout le monde peut réussir et à la simple pensée que les Indiens ne feront plus d’argent avec moi, j’ai des bonnes envies de rire.
Maintenant que le gros coup est donné, je calcule les économies réalisées en 52 semaines environ $5 000.
De ce pas, je renouvelle ma garde-robe, je m’aligne pour une tournée à San Francison et Vegas, je veux retourner à Vancouver , endoit que j’adore pour y avoir vécu durant des années et je me paie la Rolls-Royce des ordinateurs dès le 1er avril .et c’est pas un Poisson d’avril.
Mais ne comptez pas sur moi pour empêcher les autres de fumer en ma présence. La fumée première, secondaire ou terciaire, je m’en moque et je m’en fous. Je me suis fait un gros cadeau ce qui ne veut pas nécessairement que le cadeau plaît à tous et j’empêcherai jamais les autres de vivre. Je refuse de devenir une vieille maudite achalante qui écoeure tous les fumeurs parce qu’elle a choisi la liberté et, entre vous et moi, j’aime mieux sentir la cigarette dans les endroits publics que la vieille graisse à patates frites.
Ca sent cent fois meilleur !